Le Maroc mise sur le dessalement pour sécuriser son approvisionnement en eau potable. L’objectif officiel est de passer de 320 millions à 1,7 milliard de m³ par an d’ici 2030, soit 50 % des besoins nationaux. Une solution stratégique, mais énergivore, qui devra s’appuyer sur les énergies renouvelables et un suivi écologique rigoureux pour être réellement durable.
Selon le ministère de l’Équipement et de l’Eau, le Royaume compte aujourd’hui 17 stations de dessalement, réparties entre Casablanca, Safi, Jorf Lasfar ou Dakhla, Leur capacité cumulée est de 320 millions de m³ par an. Les objectifs fixés par le gouvernement prévoient d’atteindre 1,7 milliard de m³ à l’horizon 2030 et de couvrir 50 % des besoins nationaux en eau potable grâce au dessalement. Ce programme répond à un stress hydrique sévère, d’après les données du Haut-Commissariat au Plan, la disponibilité en eau par habitant est passée de 2 560 m³/an en 1980 à moins de 620 m³/an aujourd’hui, bien en dessous du seuil critique de 1 000 m³.
L’impact du dessalement sur l’énergie, l’environnement et les écosystèmes marins
1. Une option stratégique, mais énergivore
Le dessalement reste une technologie très consommatrice d’énergie. Le fonds mondial de la nature (WWF) et plusieurs experts soulignent que sans alimentation massive en énergies renouvelables, son empreinte carbone peut réduire ses bénéfices environnementaux. Certaines stations, comme celle de Dakhla, fonctionnent déjà avec une part importante d’éolien et de solaire, mais moins d’un tiers des unités au Maroc utilisent aujourd’hui des sources propres.
2. Des impacts sur les écosystèmes marins
Au-delà de la consommation énergétique, la production d’eau douce à partir d’eau de mer génère des rejets de saumure hautement concentrée en sel et produits chimiques de traitement. Mal gérés, ces rejets peuvent perturber la biodiversité côtière, notamment les espèces benthiques et les herbiers marins qui jouent un rôle clé dans l’écosystème.
3. Océan ou mer fermée : le principe reste le même
Il est vrai que l’océan Atlantique est plus vaste et plus dynamique que la mer Méditerranée, les courants y sont plus forts et la dilution de la saumure est souvent plus rapide. Mais l’impact dépend du site précis : dans les zones portuaires, les baies, les zones peu profondes ou à faible courant, la saumure peut stagner et créer localement les mêmes problèmes qu’en Méditerranée, hausse de salinité, manque d’oxygène, perturbation des écosystèmes benthiques. Certaines espèces côtières atlantiques, comme les herbiers marins, les crustacés ou les poissons juvéniles, sont aussi sensibles aux variations rapides de salinité que celles vivant en Méditerranée. C’est un point crucial à prendre en compte alors que le Maroc prévoit de passer de 320 millions de m³ à 1,7 milliard de m³ d’eau dessalée par an d’ici 2030, avec 50 % de l’eau potable issue du dessalement. Une telle montée en puissance implique des volumes de saumure rejetés proportionnellement plus importants, donc un risque accru de perturbations locales.
Des recherches menées sur des usines de dessalement en Australie et en Californie (toutes deux sur l’océan Pacifique) montrent des effets mesurables jusqu’à plusieurs centaines de mètres autour des rejets lorsque ceux-ci sont concentrés et mal diffusés. L’ONU et WWF précisent que la taille de la masse d’eau n’annule pas le risque, elle le dilue seulement si les conditions hydrodynamiques sont favorables.
Pour résumer océan ≠ impact nul, surtout si plusieurs usines sont implantées le long d’un même littoral ou à proximité de zones écologiquement sensibles.
4. Ce que dit la science sur l’impact du dessalement
D’après le Programme des Nations unies pour l’environnement, la plupart des usines de dessalement génèrent environ 1,5 litre de saumure (concentrée en sel et résidus de traitement) par litre d’eau douce produit ; si elle est mal diluée et dispersée, cette saumure plus dense peut former un panache au fond et dégrader les écosystèmes côtiers. Selon une étude de l’Institut des Nations unies pour l’eau, l’environnement et la santé (UNU-INWEH, 2019) les usines rejettent environ 142 millions m³ de saumure par jour à l’échelle mondiale, soit environ 50 % de plus que les estimations précédentes, ce qui renforce l’enjeu du contrôle des rejets (diffuseurs, choix de sites à forts courants).
La littérature scientifique montre aussi que de modestes hausses locales de salinité et les produits chimiques d’anti-encrassement peuvent affecter la faune benthique (comme les coquillages, crabes, crevettes, étoiles de mer ou poissons plats) et dégrader les habitats sensibles comme les herbiers marins et les herbiers de posidonie en méditerranée, d’où les recommandations techniques de dilution en profondeur et de suivi écologique autour des émissaires.
Enfin, dans une Méditerranée déjà plus chaude et plus salée que la moyenne mondiale, le WWF alerte sur la vulnérabilité cumulée des écosystèmes, toute pression additionnelle (dont les rejets de saumure) doit être strictement encadrée et suivie dans le temps.
5. Pistes pour un dessalement plus durable
• Localiser les rejets en zones profondes et à forts courants afin de favoriser la dilution de la saumure et limiter son impact sur les fonds marins.
• Mettre en place un suivi écologique continu (qualité de l’eau, biodiversité benthique, salinité) autour des émissaires.
• Coupler les usines de dessalement aux énergies renouvelables (solaire, éolien, hybride) pour réduire l’empreinte carbone d’un procédé très énergivore.
• Valoriser partiellement la saumure en récupérant des minéraux ou en l’utilisant dans certaines filières industrielles pour réduire les volumes rejetés.
• Informer et impliquer les communautés locales dans la surveillance environnementale pour renforcer la transparence et l’acceptabilité sociale des projets.
6. Vers une gestion intégrée de la ressource en eau
Des experts du Policy Center for the New South préconisent de combiner le dessalement avec la modernisation des barrages et la création d’autoroutes de l’eau pour acheminer les surplus vers les zones déficitaires. Cette approche holistique pourrait améliorer la résilience hydrique tout en répartissant les coûts énergétiques et environnementaux.
Le dessalement est une solution clé face à la raréfaction de l’eau au Maroc, mais il n’est pas une panacée. Pour qu’il s’inscrive dans une logique de développement durable, il devra s’accompagner d’énergies propres, de technologies de rejet maîtrisées et d’une gouvernance transparente, intégrant les impacts sur le long terme pour les écosystèmes marins.
Rédigé par : WB
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