Selon le recensement national du ministère de l’Agriculture, réalisé entre juin et août 2025, le Maroc compte 32,8 millions de têtes de bétail. Un chiffre qui, rapporté à la population (36 millions d’habitants), équivaut à 0,9 animal par personne. De quoi présenter le Royaume comme l’un des pays africains les mieux dotés en cheptel, malgré des années de sécheresse.
Mais derrière cette façade, les chiffres racontent une autre histoire. Le cheptel a reculé de 38 % depuis 2016, a reconnu le ministre de l’Agriculture Mohammed Sadiki en février dernier. Les sécheresses répétées ont réduit les pâturages et accentué la dépendance aux importations de fourrages. Pour compenser, le Royaume a dû importer massivement. En effet, d'après Food Business Africa, près de 600 000 moutons ont été importés en 2024 pour l’Aïd Al-Adha, plus de 124 000 moutons, 21 800 bovins et 700 tonnes de viande rouge ont franchi les frontières depuis le début de 2025.
La pression se fait sentir sur le plan social. Selon le ministère de l’Agriculture, la consommation annuelle moyenne de viande rouge atteint environ 17 kg par habitant, ce qui place le Maroc parmi les plus gros consommateurs du continent. Mais cette moyenne est trompeuse car pour de nombreux ménages modestes, la viande n’est pas un produit de consommation quotidienne mais plutôt un aliment rare, réservé aux occasions. La fête de l’Aïd al-Adha en est le révélateur, selon le Haut Commissariat au Plan (HCP), pour les 10 % des familles les plus pauvres, le sacrifice du mouton représente 41 % du budget annuel consacré à la viande, contre 23 % pour les ménages les plus aisés.
À ces fragilités économiques et sociales s’ajoute une dimension environnementale préoccupante. L’élevage est l’une des principales sources de méthane, un gaz à effet de serre au pouvoir réchauffant 25 fois supérieur au CO₂. Il exerce aussi une forte pression sur les ressources en eau, déjà menacées par le changement climatique.
Le recours massif au maïs et au soja importés pour nourrir le bétail accentue l’empreinte écologique et climatique de l’élevage, en raison de la déforestation liée à leur production, de l’usage intensif de pesticides et du transport maritime qui les amène au Maroc. Mais ces effets ne s’arrêtent pas à l’environnement, ils se prolongent jusque dans l’assiette des consommateurs. Certes, le maïs et le soja importés, «souvent issus de cultures OGM dans certains pays producteurs», ne transmettent pas directement la modification génétique à l’homme. Mais selon la FAO et l’Autorité européenne de sécurité alimentaire (EFSA), des résidus de pesticides utilisés sur ces cultures peuvent être retrouvés dans la viande ou le lait, avec un risque d’exposition cumulative encore débattu. Par ailleurs, les animaux nourris quasi exclusivement au soja et au maïs produisent une viande moins riche en oméga-3 et plus chargée en oméga-6, un déséquilibre nutritionnel qui, selon plusieurs études, peut favoriser certaines inflammations chroniques. Enfin, cette dépendance alimente une logique d’élevage intensif : densité animale accrue, usage massif d’antibiotiques et multiplication des risques sanitaires. Selon l’OMS, cette intensification contribue à la résistance aux antibiotiques, un des enjeux de santé publique les plus pressants à l’échelle mondiale.
Selon le ministère de l’Agriculture, la stratégie Génération Green 2020-2030 ambitionne de moderniser l’élevage et de renforcer sa résilience face aux sécheresses. Mais la multiplication des importations et l’effritement du cheptel montrent que ces mesures n’ont pas encore produit les effets attendus. La décision royale de suspendre exceptionnellement le sacrifice de l’Aïd al-Adha s’inscrit dans ce contexte de crise, « une première en 29 ans », et traduit la nécessité d’adapter les pratiques au contexte climatique et économique.
En somme, l’annonce des 32,8 millions de têtes pourrait passer pour une bonne nouvelle. Mais selon les données officielles et les organismes internationaux, elle masque une réalité fragile, un secteur vital, mais sous pression climatique, économique et sociale. Pour le Maroc, le défi est désormais clair, passer d’un élevage de survie à un élevage durable et résilient, capable de nourrir la population sans épuiser ses ressources.
Sources
• Ministère de l’Agriculture, recensement national de l’élevage (juin-août 2025) – agriculture.gov.ma
• Déclarations du ministre de l’Agriculture Mohammed Sadiki (février 2025)
• Food Business Africa, importations de bétail et de viande (2024-2025)
• Haut Commissariat au Plan (HCP), Les Brefs du Plan – Dépenses et pratiques du rituel de l’Aïd al-Adha (juin 2024) – hcp.ma
• FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture) – rapports sur l’alimentation animale et résidus de pesticides
• Autorité européenne de sécurité alimentaire (EFSA) – avis scientifiques sur OGM et résidus de pesticides
• OMS (Organisation mondiale de la santé) – rapports sur la résistance aux antibiotiques
Rédigé par : WB
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