Selon le rapport « Best Countries 2025 » publié par US News & World Report et relayé par World Population Review, le Maroc est classé 55ᵉ mondial et 2ème africain en matière de qualité de l’éducation. D’après la Banque mondiale et l’UNICEF, le pays a réalisé quelques progrès, notamment la scolarisation quasi universelle au primaire et la mise en place de la vision stratégique 2015–2030. Pourtant, derrière ces constats flatteurs, la réalité décrite par les chercheurs et les acteurs de terrain est tout autre : un système en crise, fragilisé par le décrochage, les inégalités et la précarité des enseignants. En outre, plusieurs classements internationaux viennent appuyer ce constat et brossent un tableau bien plus inquiétant. Selon « l’Insider Monkey Global Education Index 2024 », le Maroc n’occupe que la 154ᵉ place sur 218 pays, en raison d’un faible investissement dans l’éducation et d’un nombre limité d’universités reconnues à l’échelle mondiale ». De son côté, le rapport du « think tank African Exponent » place certes le Maroc 2ᵉ en Afrique, mais uniquement dans un contexte régional où la majorité des pays restent loin des standards internationaux. Ces contrastes montrent que la réputation du système éducatif marocain repose davantage sur la perception que sur la performance réelle.
Le préscolaire : un début fragile
Le taux de préscolarisation était de 72,5 % en 2021, en progression depuis 2018 (49,5 %), mais seulement la moitié des enfants de 4–6 ans fréquente un établissement préscolaire moderne destiné à favoriser le développement cognitif et moteur, principalement en milieu urbain. (UNESCO, 2021).
Des chiffres qui parlent
D’après l’OCDE (tests PISA 2022), les élèves marocains de 15 ans obtiennent en moyenne 365 points en mathématiques, alors que la moyenne des pays de l’OCDE est de 472 points. En lecture, ils atteignent seulement 339 points, contre 476 pour la moyenne internationale. À peine 18 % atteignent le niveau minimal requis en mathématiques » (OCDE, PISA 2022).
Selon le Haut Conseil de l’Éducation, de la Formation et de la Recherche Scientifique (HCEFRS) du Maroc, 508 300 élèves ont quitté l’école en 2015, ce qui représente environ 8,8 % de l’ensemble des élèves scolarisés. Selon le ministère de l’Éducation, 294 458 élèves ont abandonné l’école durant l’année 2022 2023 dont 58 819 au primaire, 156 998 au collège et 78 651 au lycée, confirmant une baisse de 12 % en un an depuis les 334 664 élèves de 2021 2022. (Morocco World News, 2024).
L’écart entre villes et campagnes est frappant. Selon l’UNICEF, 23,4 % des filles rurales abandonnent l’école avant la fin du primaire, contre 13,6 % des garçons. Plus de 30 % des enfants ruraux de 12 à 14 ans sont exclus de l’école, et parmi eux, 78 % sont des filles. (UNICEF, 2022). Dans certaines provinces comme Taza-Taounate-Al Hoceima, le taux d’abandon atteint 6,2 % au primaire, contre presque zéro dans les grandes villes. (HCEFRS, 2015).
Témoignage : la voix d’un professeur
Un professeur d’école, exerçant dans une zone enclavée du Maroc, raconte : «Beaucoup de mes collègues n’ont pas le niveau requis pour enseigner correctement le français, car ils ne maîtrisent pas suffisamment la langue et parce que les critères de sélection et de recrutement ne garantissent pas toujours la compétence linguistique nécessaire. La situation est aggravée par des conditions de travail difficiles : salaires faibles, isolement et absence de formation continue. À cela s’ajoute une charge administrative importante imposée par l’inspection, qui détourne les enseignants de leur mission principale. Ils se retrouvent souvent contraints de sacrifier la qualité pédagogique pour répondre aux exigences bureaucratiques, ce qui nuit directement aux élèves. Dans une même classe, je dois gérer des enfants dyslexiques, autistes ou en détresse psychologique, sans aucun moyen adapté. Ajoutez à cela les conditions matérielles : certains marchent plusieurs kilomètres dans le froid pour venir à l’école, et écrivent avec les doigts gelés en hiver faute de chauffage. Comment peuvent-ils apprendre dans de telles conditions ?»
Le professeur souligne aussi le rôle des familles. Dans ces régions, « Beaucoup de parents ne suivent pas de près la scolarité de leurs enfants, soit parce qu’ils ne sont pas eux-mêmes alphabétisés, soit parce qu’ils considèrent que l’école n’apporte pas de revenus immédiats. Cette absence de soutien familial fragilise encore davantage la réussite scolaire des élèves ».
Ce témoignage illustre les difficultés quotidiennes, bien au-delà des statistiques.
Les enseignants : entre mobilisation et fatigue
En décembre 2023, d’après TV5 Monde et Education International (la fédération mondiale des syndicats d’enseignants et de personnels de l’éducation), 96 000 enseignants, soit près de 30 % du corps enseignant, ont entamé une grève de trois mois pour protester contre le nouveau Statut unifié des fonctionnaires du ministère de l’Éducation nationale, une charte jugée injuste. À l’issue des négociations, le gouvernement a promis une augmentation de 1 500 dirhams nets par mois, versée en deux tranches (janvier 2024 et janvier 2025), représentant un coût de 9 milliards de dirhams sur deux ans. La première tranche a effectivement été versée début 2024, conformément à cet engagement. Quant à la seconde, elle a été versée en janvier 2025 comme prévu.
Malgré cette revalorisation, la précarité demeure : enseignants affectés dans des zones isolées, absence de logements, (certains enseignants habitent même dans des classes mal isolées faute d’alternative), manque de moyens pédagogiques, surcharge administrative, sans parler de l’agressivité montante chez certains élèves. Beaucoup se sentent démotivés, et la qualité de l’enseignement en pâtit. Selon le rapport SABER-Teachers de la Banque mondiale, le Maroc reste faible dans la formation, le suivi pédagogique et la motivation des enseignants.
Urbain contre rural : un fossé qui s’élargit
Dans les grandes villes, de nombreuses familles optent pour l’enseignement privé, perçu comme plus fiable et à l’abri des grèves. Mais dans les zones rurales, il n’existe souvent aucune école privée, et les familles n’ont pas les moyens d’y inscrire leurs enfants.
Ainsi, l’élève urbain bénéficie d’équipements modernes, de classes allégées et d’un environnement propice, alors que l’élève rural doit surmonter la fatigue, le froid, la chaleur, les conditions climatiques extrêmes, les longues distances et des enseignants eux-mêmes épuisés. Résultat : un fossé éducatif qui ne cesse de s’élargir.
Pour une éducation durable
Selon les chercheurs et les institutions internationales, il est urgent d’agir sur plusieurs fronts. Il faut investir sérieusement dans la formation et la revalorisation des enseignants, tout en allégeant leurs charges administratives afin qu’ils puissent se concentrer sur leur mission pédagogique. Les programmes doivent être adaptés aux réalités locales et au niveau réel des élèves, tandis que des infrastructures scolaires dignes et résistantes aux conditions climatiques extrêmes doivent être développées. Enfin, un accompagnement spécifique est indispensable pour les enfants en difficulté d’apprentissage, qu’ils soient dyslexiques, autistes ou en détresse psychologique » (Banque mondiale, 2016 ; UNICEF, 2022).
La qualité de l’école a des répercussions directes sur l’avenir des enfants, leur destin et leurs trajectoires de vie. Quand l’école échoue, ce sont les projets de toute une génération qui vacillent. Dans plusieurs régions rurales, des filles abandonnent prématurément leurs études pour se marier faute d’alternatives et de perspectives. Les familles, déjà fragilisées par la pauvreté, voient dans l’école une charge plus qu’un investissement, et l’exode rural s’accentue. L’éducation, censée être un levier d’égalité et de développement, devient au contraire un facteur d’exclusion. Le Maroc ne peut pas se contenter de classements flatteurs. La véritable urgence est d’éviter que l’école publique ne condamne une partie de ses enfants à un avenir bloqué, et de donner enfin à tous les élèves, où qu’ils vivent, les moyens de construire leur avenir. Un pays qui abandonne son école condamne son propre futur.
Références
• OCDE, Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA), résultats 2022.
• UNESCO, données sur le préscolaire au Maroc, 2021.
• UNICEF, rapports sur l’éducation et l’abandon scolaire, 2022.
• Haut Conseil de l’Éducation, de la Formation et de la Recherche Scientifique (HCEFRS), rapport 2015.
• Morocco World News, « Morocco’s School Dropout Crisis », 2024.
• Insider Monkey, Global Education Index, 2024.
• African Exponent, rapport comparatif sur l’éducation en Afrique, 2024.
• Banque mondiale, SABER-Teachers Report, 2016.
• TV5 Monde, couverture sur la grève des enseignants, 2023.
• Education International, communiqué sur la mobilisation au Maroc, 2023.
• Gouvernement du Maroc, communiqué officiel sur l’accord salarial des enseignants, 2023.
Rédigé par : WB
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